L’ITW: Paul Chiambaretto directeur de la Chaire Pégase

➡️ Qui êtes-vous?

Je suis professeur de stratégie à Montpellier Business School et chercheur associé à l’école polytechnique où j’ai fait mon doctorat. En 2019, j’ai créé la Chaire Pégase dédiée à l’économie et au management du transport aérien et de l’aérospatial dont je suis le directeur. Air France est l’un de nos partenaires ce qui nous permet de favoriser les échanges entre le monde académique et aérien.

➡️ Quelles types d’études menez-vous?

La toute première étude de la Chaire portait sur la perception des français de l’impact environnemental du transport aérien suite au développement du flygskam, c’est-à-dire la honte de prendre l’avion.

Au printemps dernier, suite à la crise de la Covid, nous avons voulu mesurer l’impact de la Covid sur le comportement des français et surtout caractériser leurs habitudes en matière de transport aérien. Les enquêtes sur le comportement aérien des Français datent de plusieurs années et concernent souvent le comportement des passagers aériens et non des français en général. De sorte que pour mesurer l’impact de la Covid sur le comportement des français, nous devions d’abord faire un point sur la situation avant-crise.

➡️ Vous avez donc interrogé les français sur la question ?

Exactement. Nous avons fait appel à une entreprise spécialisée a composé un échantillon représentatif de la population française des 20 ans et plus. La solution de facilité aurait été un questionnaire sur internet mais nous n’aurions pas eu de de garantie de représentativité en termes d’âge, de catégorie socio professionnelle et zone géographique. Grâce à ce questionnaire, nous avons pu dresser un portrait-robot du passager aérien en 2019, dans les 5 mois après le confinement et une projection pour les 12 prochains mois.

➡️ Quels sont les enseignements majeurs de cette dernière étude ?

Les premières conclusions intéressantes concernent l’avant crise. Le transport aérien est souvent perçu comme étant réservé à une minorité de la population. Or, il ressort de l’étude que 63% des français de 20 ans et plus avait pris l’avion au cours de 2019. C’est un mode de transport plus démocratique que l’on imagine, les passagers aériens sont monsieur et madame tout le monde. Seuls les retraités sont un peu moins représentés. Ce résultat soulève des réflexions en matière de fiscalité pour ce mode de transport. Sans surprise, les passagers qui prennent l’avion pour des motifs professionnels voyagent le plus fréquemment, mais on a pu observer que 80% des passagers aériens voyageaient principalement pour un motif personnel. Avant la crise, les réservations se faisaient plus de 3 semaines à l’avance pour 75% des passagers, et 40% des passagers réservaient leur billet plus de deux mois à l’avance. Ces éléments ont ensuite servi de base pour comparer et mesurer l’impact de la Covid.

➡️ Et quels sont les principaux impacts de la Covid ?

Dans une deuxième partie du questionnaire, toujours administré auprès du même échantillon, nous avons posé des questions sur leur comportement juste après le premier confinement et sur leurs intentions pour les 12 prochains mois. Il en ressort une certaine stabilité dans les intentions pour les 12 prochains mois, puisque 61% des Français déclarent vouloir prendre l’avion dans les 12 prochains mois contre 63% en 2019. D’ailleurs, on note aussi une stabilité dans le comportement des passagers. Autrement dit, les personnes qui ont voyagé en avion en 2019 ont de grandes chance de voler de nouveau en 2021. Avec deux nuances toutefois. D’une part, sur l’ensemble des répondants, 55% souhaitent attendre 6 mois avant de reprendre de l’avion. D’autre part, on observe une baisse du nombre de vols envisagés pour les passagers qui volaient le plus en 2019. Il y aura donc une baisse du trafic, essentiellement du fait d’une réduction de la fréquence des vols de ceux qui volent le plus souvent.

➡️ C’est donc plus un problème d’offre que de demande ?

En effet, les français ont envie de voyager mais ce qui les freine, c’est l’incertitude. Les risques de vols annulés et de fermetures de frontières, empêchent les passagers de réserver les billets. Les délais de réservation sont beaucoup plus courts.

A noter que pour les 12 prochains mois, la peur de tomber malade à l’étranger n’est pas centrale. La crainte par rapport aux mesures sanitaires est présente mais de moins en moins marquée dans le temps. Actuellement, les demandes principales des passagers sont des mesures commerciales comme les billets échangeables et remboursables sans justification ainsi que de la stabilité dans l’ouverture des frontières.

➡️ Qu’est ce qui va rester ?

C’est une grande question, il va surement y avoir un effet de cliquet. Les billets échangeables pourraient devenir la norme et les billets non échangeables et non remboursables seraient l’équivalent qu’un « tarif mini », c’est-à-dire avec une vraie baisse du prix du billet. C’est une solution qui pourrait rester et évoluer, tout en sachant que c’est contraignant pour les compagnies, en particulier pour le revenue management.

➡️ Que pensez-vous de mettre en place un Passeport sanitaire ?

Il existe déjà un carnet vaccinal à destination de certains pays, par exemple, pour la fièvre jaune, c’est donc faisable. En revanche, cela ne peut fonctionner que les si les pays à l’intérieur d’un espace donné appliquent tous la même politique. Cette problématique doit se régler à minima au niveau européen. Or un vrai manque de coordination existe, et il n’y a pas deux pays qui ont la même posture face au vaccin ou à la gestion des frontières suite aux nouveaux variants…

➡️ Croyez-vous en une Evolution du paysage concurrentiel européen ?

L’Europe est le continent qui souffre le plus car nous n’avons pas de politique commune de gestion des frontières mais une multitude de petits pays gérés de façon autonome. Dans l’immédiat, les compagnies limitent la vitesse à la laquelle elles brulent de la trésorerie. Des opportunités existent. Cependant à court terme, il n’y a pas vraiment de justification économique pour une low-cost ou compagnie traditionnelle à acheter une autre compagnie. D’autant plus, que les compagnies sont actuellement en surcapacité. Les marchés aériens européens et français restent cependant trop fragmentés, la multitude de petits acteurs ne permet pas de générer des économies d’échelles suffisantes.

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